Entre la Frette et Herblay, on peut longer la Seine sur les rives aménagées, celles qui ont vu les plus grands maîtres de l’impressionnisme produire des chefs d’oeuvre à la pelle. Ici, les rives de la Seine sont abruptes et le chemin que l’on emprunte est tracé sur des espaces verts en bordure de la route qui surplombe. Cette route, ou plutôt cette rue marque ainsi la limite entre la ville et la nature.
Un appareil photo en poche, on peut se prendre pour Pissaro ou Daubigny et céder à la tentation de "la photo de paysage bucolique". Les sujets ne manquent pas : les berges du fleuve, les péniches, les roseaux, les saules, les oiseaux. Clic (juste pour signaler que le X100 fait juste un petit clic et pas un grand clac), les roseaux sont dans la boite. Et après ? Les canards ? Avez-vous remarqué avec quelle frénésie les canards attirent les photographes amateurs, comme si ces bestioles avaient un pouvoir hypnotisant sur tout porteur d’appareil passant à portée d’aile. Le canard est au photographe ce que la Sirène est au marin, un appel irrationnel au suicide photographique.
Je décide donc de me boucher les oreilles pour éviter de tomber dans le traquenard du canard. C’est là que mes yeux derrière la tête décident d’entrer en fonction. Oui, mes yeux derrière la tête. Comment ça ? Ca n’existe pas ? Bien sûr que si ! Tout le monde en a, il faut juste s’en rappeler. Ces yeux derrière la tête sont quand même hyper pratiques car comme vous le savez notre cerveau est une feignasse. La première idée qui lui vient est toujours la même, il aime bien travailler toujours de la même façon et nous ressortir ses bons vieux trucs. Quand on photographie c’est pareil : notre cerveau voit une rivière avec des péniches et nous commande de faire une photo de bateau au premier plan avec les reflets du soleil sur le fleuve ondoyant avec de jolis bokehs cristallins.
Mes yeux derrière la tête vont essayer de dire à mon cerveau qu’il y a peut être d’autres angles d’attaque du sujet "Bords de Seine". J’oublie la nature et me retourne vers la ville et les maisons qui bordent la rue, qui borde le chemin, qui borde la berge, qui borde le fleuve. Mon cerveau reconfiguré (je jure que ça fait pas mal) va donc essayer de trouver une idée plus originale que la première qui lui est venue. En réalité il y a bien plus de choses intéressantes une fois le dos tourné. Les maisons qui bordent cette rue sont de styles et d’époques totalement différents. Elles ont cependant toutes un air maritime qui ferait croire qu’on est au bord de l’océan. Une atmosphère très 70’s s’en dégage qui me replonge dans l’air du temps de mon enfance.
Je n’ai pas pris beaucoup d’images et je concède qu’elles ne sont pas exceptionnelles. Elles m’ont juste donné la satisfaction d’avoir pensé à activer mes yeux derrière ma tête. Un peu comme je l’avais fait quand je n’ai pas photographié de dragons au défilé du nouvel an chinois. Au final j’en retiens qu’il faut toujours se méfier de sa première idée : la deuxième, la troisième ou la n-ième ont toutes les chances d’être beaucoup plus originales. Je ne sais pas si ça a vraiment fonctionné cette fois-ci mais l’important était de le tenter.
8 réponses sur « Les yeux derrière la tête »
J’aime particulièrement l’avant-dernière. Dommage que la plaque « La vie du fleuve » soit un peu floue, elle correspondait bien au sujet !
C’est vrai que sortir un peu des sentiers battus, ça fait du bien ! J’essaie de le faire de temps en temps, mais c’est pas évident …
Tu as raison, j’ai dû faire la mise au point sur le personnage…
Merci pour le partage 😉
J’avais aimé « je n’ai pas photographié de dragons au défilé du nouvel an chinois ».
En effet cet article est tout à fait dans la même veine. Sortir et photographier en se donnant des contraintes, un très bon exercice que tu réussis à chaque fois.
Ce qui te permet de montrer ce que les autres ne voient pas, voilà pour moi le vrai rôle du photographe.
J’aime beaucoup cette série, ce traitement légèrement jaunie, laissant imaginer que tu n’as pas pris le coucher de soleil que tout monde était en train de prendre en face.
Une réelle intention et une réelle attention voilà ce qui me plaît le plus en photographie.
Merci Frédéric
Merci Paul pour ces mots très sympas.
Pour le rendu un peu jaune, je voulais donner cette atmosphère 1970 et je me suis basé sur mon souvenir des photos un peu jaunies qui sont encore chez mes parents.
Le soleil m’a bien aidé mais comme c’était en milieu d’après-midi j’avoue que LR m’a aussi été utile pour rendre cette atmosphère.
J’adère tout à fait au concept de ne pas tomber dans le piège de la première idée qui est souvent dans les exemples que tu donnes des « clichés ». Voir avec les yeux derrière la tête? Belle expression. Mais n’oublions pas d’écouter avec les oreilles du cœur 😉
Que dire après la sagesse Allainienne … je ne ferais que paraphraser 🙂
C’est osé ce parti pris et ça ne fait pas mal à la tête, même du bien aux yeux.
Pas fan de la dominante mais on s’en fiche, le tout ‘est cohérent, la démarche intelligente.
Le personnage de l’avant dernière photo semble intrigué par sa pose de l’intérêt inhabituel du photographe, peut être a-t-il l’habitude de de voir l’objectif pointer dans la direction inverse ?
Un indice volontaire ou pas (panneau « la vie du fleuve ») suggère la présence des berges a proximité, la route semble confirmer que le fleuve qu’on devine se trouve derrière le photographe.
C’est a mon sens celle qui illustre le mieux ta démarche, un peu a « contre courant » en quelque sorte !
Maxip
Merci Maxip pour ta visite. Je crois qu’il était surtout intrigué, se demandant ce que je pouvais bien photographier 😉
Tiens je vais peut être la mettre en bandeau cette image du coup…