Franchir les portes d’un musée, un appareil photo à la main, est toujours une grande aventure : on ne sait jamais vraiment à quelle sauce on va être croqué. Les trois expériences très différentes auxquelles j’ai été confronté ces dernières semaines illustrent assez bien l’absurdité des règlements appliqués avec plus ou moins de zèle par le personnel d’accueil (oui, même un accueil mauvais est un accueil). Et si je parle d’absurdité c’est parce que dans la majorité des cas ces restrictions sont totalement contre-productives pour les musées eux-mêmes.
1. No photo
C’est le cas le plus fréquent : on vous interdit la moindre photo. Les raisons ne sont jamais clairement expliquées mais on peut les imaginer :
- L’atteinte au droit d’auteur des oeuvres photographiées. Mais je ne comprends pas très bien comment la photo d’une peinture, d’une sculpture ou même d’une photographie pourrait être confondue avec l’orginal.
- La divulgation du contenu de l’exposition qui nuirait à la fréquentation. Là encore c’est difficilement recevable : les oeuvres sont souvent déjà bien connues, des photos existent et cela ne remplace pas de les voir en vrai. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler les records de fréquentation des dernières expositions à Paris (Monnet, Picasso) alors que toutes les oeuvres sont célèbres et facilement accessibles par Google.
- La concurrence avec la boutique du musée. C’est peut être la raison la plus probable : en prenant des photos eux-même les visiteurs n’achèteraient pas les catalogues ou cartes postales en vente au prix fort à la boutique.
En réalité tout cela parait bien maigre et plutôt mesquin. Pour illustration je citerais l’exposition « Phares » qui a lieu actuellement au Musée de la Marine à Paris. J’ai pu prendre trois photos des lentilles de Fresnel exposées à l’entrée de l’exposition juste avant qu’un premier agent, secouru aussitôt par un second, se jette littéralement sur moi pour me rappeler que je n’avais pas vu le panneau interdisant les photos. Voici donc une photo volée, d’une exposition gachée par un règlement absurde :
2. Racket
En voyage à Prague quelques jours, j’ai eu la surprise de découvrir une nouvelle pratique au Chateau de Prague : en plus du billet d’entrée, vous pouvez acquérir un droit de photographier pour la modique somme de 50Kc, soit environ 2 euros :
Ici on profite du touriste qui ne sait pas vraiment ce qu’il risque de manquer s’il ne peut pas photographier. Et ça fonctionne parfaitement car 90% des gens qui entrent dans ces lieux ont un appareil autour du cou, mitraillent tout sur leur passage, veulent absolument revenir avec un petit souvenir. Tout comme eux je me suis plié à contre coeur à cette forme de racket et tout comme les autres touristes j’ai eu au final la réelle impression d’être pris pour un pigeon : la visite est plutôt décevante et les images prises se révèlent au final très banales. (En tout cas si vous y allez, ne prenez pas ce droit de photographier, gardez vos 50Kc pour une bonne bière qui vous procurera infiniment plus de plaisir).
3. Open Bar
Enfin il existe quand même encore des havres de totale liberté ou vous pourrez photographier comme bon vous semble.
Les deux expériences positives de ces dernières semaines concernent des exposition d’art contemporain : Le Centre Pompidou à Paris (relire ici ma visite) et la formidable exposition de Kristof Kintera à la Bibliothèque municipale de Prague. Faut-il y voir une simple coïncidence ou bien une ouverture d’esprit liée à cette forme d’art ? En tout cas je pense qu’ils ont tout compris : en autorisant la prise de photos des oeuvres exposées, ils permettent de prolonger l’exposition au-delà des murs du musée.
Censurer le savoir
Empêcher la prise de photos dans une exposition est selon moi un mauvais calcul. En plus de la frustration des visiteurs les organisateurs se privent d’une opportunité de promotion de l’exposition. Car les visisteurs qui font des images, vont les diffuser, les partager, discuter de l’exposition, voire écrire des articles sur leur blog : alimenter la machine promotionnelle en quelque sorte.
Et puis interdire la prise de photos est en totale contradiction avec la vocation didactique des expositions. Car si l’objectif d’une exposition est la diffusion du savoir, interdire la diffusion de photos a pour conséquence de restreindre ce savoir aux seuls visiteurs des musées, une sorte d’élite qui garderait un savoir bien gardé. Un échec sur toute la ligne.
10 réponses sur « Sous-expositions »
Comme tu le dis, sous prêtexte de droit d’auteur, la raison en est souvent pécunière 🙁 et pire, dès que tu as un trépied, tu es considéré comme un professionnel souvent.
Petite anecdote : à l’Institut du Monde Arabe, dehors, sur le parvis, je sors mon trépied pour shooter coin de l’édifice (avec ses formes géométriques) avec les nuages en fond : idem, un vigil accompagné de l’agent « sécurité » (feu & co) se jettent illico sur moi : interdiction d’utiliser le trépied ici…oups…je précise qu’il n’y avait pas grand monde devant (certainement pour éviter l’amas de photographes ?), bref.
Pour le trépier à l’intérieur je peux comprendre le risque d’abimer des choses en le bougeant mais à l’extérieur ils veulent clairement éviter que l’on fasse des photos « trop bonnes » qui pourraient être vendues à la place de leurs cartes postales… pathétique 😉
Oui et non, c’est vrai que j’aime photographier si je dois illustrer une note et du coup utiliser mes photos perso, mais d’un autre côté c’est super agaçant de voir tout le monde se ruer sur les oeuvres uniquement pour les photographier.
On est constamment gêné par un bras tendu qui essaye de mitraillé à tout vas sans aucun cadrage, les gens ne prennent plus le temps de regarder réellement les tableaux, ils prennent une photo et au suivant.
C’est assez absurde. Plus les Iphone et autres gadgets c’est presque insupportable.
Les gens qui te demande de te pousser quand tu regarde une sculpture car ils doivent absolument poser devant.
En plus, surtout que les conditions sont souvent difficiles.
Alors finalement l’interdiction totale n’est pas plus mal, mais si effectivement c’est assez frustrant.
L’interdiction vient surtout du fait que beaucoup de touristes photographient en mode auto donc les flashs crépitent dans tous les sens et ça dérange les visiteurs. Le coup des droits d’auteurs d’une peinture ou sculpture datant de plusieurs siècles n’est qu’un prétexte et je ne pense pas avoir entendu parler d’une loi sur ce sujet. Je suis d’accord sur le fait que ça censure le savoir.
Idem au musée de la mode à Florence, j’ai eu le temps de prendre 4 photos avant qu’un gorille me crie en anglais « No Photo ». C’est toujours un jeu du chat et de la souris, prendre les photos sans flash, cacher le boitier sous sa veste…. risquer de se faire emmerder pour pas grand chose finalement …
@denis : ça peut effectivement être un argument, même si l’agglutinement devant les oeuvres n’est pas forcément lié au seul fait des gens qui veulent prendre des photos
@catfishs : c’est vrai, même s’il n’a jamais été prouvé que le flash avait un effet quelconque sur les peintures/dessins.
En complément, une lecture (assez longue) qu’on m’a fait passer… une analyse très intéressante faite par deux chercheurs.
Je partage l’argument de Denis. En effet, ce rassemblement devant les œuvres, ces bras tendus, ces portraits, est assez pénible pour les autres visiteurs qui on pris soin de respecter la règle et qui ne sortent pas leur APN/smartphone.
Il me semblait que cette interdiction était liée au droit d’auteur et au flash intempestif qui peut ruiner une peinture ou autre après plusieurs semaines d’expo.
On voit bien qu’avec un droit au shoot, comme dans ton exemple praguois, le risque est de transformer la visite en parcours du combattant (cf. § précédent et sans parler du « racket » que tu évoques).
Je partage ton point de vue sur la promotion et l’intérêt de la diffusion, voire l’aspect pédagogique de pouvoir montrer des images post-expo pour les amateurs que nous sommes. Mais ne piquons nous pas un peu le job du pro ? Je suis toujours un peu mal à l’aise avec ça.
Quoiqu’il en soit, je ne me prive jamais de faire des photos en loucdé, pour montrer un peu les œuvres, mais surtout l’ambiance, le point de vue qui m’a attiré l’œil (combinaison œuvre + scénographie). J’essaie toujours de ne pas trop en montrer (je râle toujours quand je vois trop d’images -explicites- sur les réseaux sociaux d’une expo que j’envisage de voir).
Pour conclure, je comprends l’interdiction. Je pense qu’elle est nécessaire. Pour autant, je ne la respecte pas et je continuerai à la faire. Mais je pends toujours le soin de ne pas gêner et je suis très prudent dans ce que je montre pour donner envie sans trop en dévoiler.
ps : très bonne idée cet article !
J’ai oublié de citer l’exemple de l’expo JP Goude au musée des arts décoratifs ou les photos étaient permises. Mon bilan :
– c’était un peu le bazar parfois, limite chiant
– les visiteurs sont davantage concentrés sur la prise de vue que sur l’œuvre
-du coups ça entraîne un peu moins de respect pour l’expo parfois
Enfin voilà 🙂
Je prends toujours des photos dans les expos ou les marchés d’art, que ce soit autorisé ou non; simplement, je n’utilise jamais de flash, j’ai acheté un appareil (Lumix de Panasonic) exprès pour sa capacité à prendre des vues même sans beaucoup de lumière.
Évidemment, je me fais le plus discret possible et il ne me viendrait jamais à l’idée de demander à quelqu’un de se pousser pour que je puisse photographier. Lorsque l’artiste est présent (dans les marchés d’art, par exemple) je demande l’autorisation et me plie à l’accord ou au refus de l’artiste.
Je crois que les interdictions sont surtout économiques, pour protéger le CA des boutiques. C’est un peu stupide, le fait de faire des photos ne m’a jamais empêché d’acheter un catalogue ou un ouvrage sur l’exposition.
Je prends des photos parce que j’aime partager. Généralement, je les utilise pour faire un article sur mon blog et je n’y fait figurer que des choses qui me plaisent ce qui me permet de ne jamais donner un avis négatif.
Autodidacte et manquant de culture, j’aime l’art à l’instinct, sans analyse autre que mon sentiment. Mes plus beaux souvenirs sont Barcelone et Madrid, mais je n’ai pas encore terminé ma carrière de « voyeur ». :o)
Merci pour cet article.
@Claudius et @LaMolte
Pour moi aussi, prendre des photos dans une exposition a généralement pour objectif de pouvoir en parler à d’autres via un article de blog par exemple.
En faisant cela je n’ai pas l’impression de prendre le travail d’un pro. D’ailleurs je n’ai pas non plus l’impression de prendre le travail des journalistes lorsque j’écris un article de blog. Les deux sont complémentaires…
Il y a quelques semaines j’avais pris quelques images de l’expo de Diane Arbus (photos « volées » je l’avoue). Je métais ensuite amusé à en faire un petit montage avec Blurb Mobile. Je n’ai pas eu l’impression de faire un vrai travail journalistique, encore moins de la photo professionnelle, je ne crois pas avoir concurrencé qui que ce soit mais peut être donné l’envie à d’autres d’aller à l’expo.