Photo Sniper

Photo Sniper

J’ai toujours été un photographe parcimonieux. J’en ai parlé souvent ici, fier de mes sorties dont je rentrais avec moins de 20 images. J’ai toujours pensé que c’était une qualité, la marque des photographes qui savent ce qu’ils veulent obtenir et ne gaspillent pas leur temps à capturer au filet tout ce qui se présente. J’ai tout faux !

J’ai au moins deux explications à cette façon de faire. Mes débuts de photographes, à l’ère argentique, ont laissé des traces : surtout ne pas gâcher la pellicule, chaque image a un coût. J’ai conservé cette habitude et continué à mesurer chaque occasion avant de déclencher. La seconde raison est une incompréhension complète de ce qui fait un photographe (qu’il soit amateur ou professionnel). Et cette fois-ci, je veux bien incriminer ce foutu mythe de l’instant décisif, le crédo des photographes de rue. Ou plutôt incriminer ma compréhension de ce que voulait ce cher Henri. Prenons un exemple, la célèbre photos d’enfants dans les ruines de Séville prise en 1933 :

Une composition incroyable qui illustre complètement le choix de l’instant décisif pour appuyer sur le déclencheur. En voyant ces exemples, et pas seulement chez Cartier-Bresson, j’imagine le photographe l’oeil au viseur, attendant le moment parfait pour déclencher. Je l’imagine surtout avec cette acuité qui fait qu’il ne va pas prendre une photo qu’il ne juge pas parfaite, qu’il sait quand les étoiles seront alignées et qu’il aura SA photo, l’unique, la vraie. Il ne déclenche qu’une fois.

Regardons maintenant la planche contact sur laquelle figure cette photo.

Oh, surprise ! Il y a plein d’autres déclenchements, 16 pour être exact (et peut-être plus car cette planche n’est peut-être pas la seule). Alors, Henri on a eu un peu de mal à trouver l’instant décisif ? On nous mentirait ?

Evidemment non. Des instants décisifs il peut y en avoir plusieurs, tous différents. Alors pourquoi laisser passer des occasions uniques ? La bonne photo n’est peut être pas celle que l’on imagine, on a peut-être manqué quelque chose dans le viseur qui se révèlera sur la pellicule ou le capteur. Oui, le Grand Henri mettait toutes les chances de son côté : varier les angles, tenter différentes compositions, multiplier les déclenchements, adapter les réglages.

Cet exercice, il fonctionne avec tous les maîtres de la photographie. Voici un exemple encore avec Diane Arbus et sa photo Child with a toy prise au jardin du Luxembourg :

Et bam la planche contact ! De multiples tentatives :

C’est en voyant cette vidéo que le déclic s’est produit. Le titre m’a d’ailleurs intrigué : « Don’t be a photo sniper » de Mitchel Kanashkevich

Je suis donc un sniper, attendant sa cible, ne tirant qu’une seule fois au risque de rater l’unique occasion. Cette vidéo a été un vrai révélateur de ma pratique.

Evidemment, il n’est pas question de se transformer en mitrailleur, arrosant le champ avec des déclenchements en rafale, il s’agit simplement de se donner toutes les chances de revenir avec une bonne image. C’est mathématique : en rentrant d’une sortie avec 20 images sur une dizaine de lieux différents, il est évident que certaines scènes ne seront pas exploitables. Non pas parce qu’elles ne présentaient pas d’intérêt mais tout simplement parce que j’ai raté l’occasion. En multipliant les déclenchements, je multiplie mes chances.

Il est parfois difficile de se débarrasser de ses croyances ou de ses habitudes. J’ai donc tenté d’appliquer cela lors de mes dernières sorties, ne pas multiplier les scènes mais prendre un maximum de photos du même sujet. Le résultat : j’ai eu une bonne photo. Une seule ? Oui, une seule mais je suis persuadé que si je n’avais pas insisté pour prendre plusieurs photos de cette scène, cette photo là n’existerait peut être pas.

Il me faudra encore du temps pour adapter complètement ma pratique mais le premier pas est fait : la prise de conscience. J’ai surtout l’impression que des tas de nouvelles opportunité s’offrent à moi.