Plaisirs solitaires

Plaisirs solitaires

La photo est une pratique solitaire. A toutes les étapes le photographe joue souvent seul. D’ailleurs, j’ai beaucoup de mal à concevoir la photo collective. Même au sein des collectifs photos, il me semble qu’il s’agit plus souvent d’addition d’individualités que de véritable travail collaboratif. On peut jouer de la musique en groupe, on peut même écrire à plusieurs, mais faire une photo à quatre mains me parait improbable.

J’ai fait le constat que je n’arrive à être réellement créatif que lorsque je photographie seul. Les photos que je prends lors de mes balades entre amis le weekend sont le plus souvent le fruit du hasard des rencontres plutôt qu’une vraie démarche de photographe. C’est pour cette raison que j’aime parfois prendre des journées en semaine, pour faire une balade en solitaire. Rappelez-vous, j’ai déjà avoué que j’aimais photographier le jeudi. Etre seul est d’autant plus nécessaire lorsqu’on essaie de photographier dans la rue : il faut prendre son temps, être aux aguets, ne pas hésiter à rester de longues périodes au même endroit. C’est tout sauf une attitude sociale normale, impossible à concilier avec une balade avec des gens. C’est aussi pour cette raison que j’ai beaucoup de réticence à participer à des sorties photo en groupe (même si je ne renonce pas à tester de temps en temps).

Et comme pour toute pratique solitaire, pour le photographe amateur il s’agit en réalité de combler ses désirs pour son propre plaisir (pour le photographe professionnel, c’est un peu différent car c’est le plaisir du client qu’il doit combler…) Un plaisir qui se déploie en trois phases : le fantasme, le déclenchement et les applaudissements.

1. Le fantasme

La photographie, c’est un peu la réalisation de visions fantasmées, l’impression que l’on va réussir à faire naître sous ses yeux des images que l’on a seulement dans sa tête. Ces visions ont souvent pour origine des images réelles que l’on a pu croiser et qui sont sublimées (consciemment ou inconsciemment), forgeant ainsi notre univers imaginaire. La photographie permet de donner vie à cet imaginaire en les transformant en des choses plus palpables, presque réelles. Cette transformation du désir artistique en instant créatif est un véritable assouvissement de ses fantasmes.

2. Le déclenchement

La photographie est relativement abordable techniquement, certainement le plus abordable de tous les arts. Pas besoin de faire des gammes pendant des années pour commencer. Cette apparente facilité est très valorisante au moment du déclenchement. L’oeil dans le viseur, j’imagine qu’il vous arrive aussi, au moment de déclencher de vous dire “Je crois que j’en tiens une bonne”. Un petit truc qui clignote dans votre esprit car vous savez que vous avez une image qui se rapproche de vos visions idéales. Cette excitation furtive est un moment de pur plaisir que l’on va essayer de reproduire. Je crois que c’est le moteur principal de ma passion pour la photographie : retrouver à l’instant où j’appuie sur le déclencher cette sensation d’être là au bon moment. Pour moi, c’est l’instant qui compte et pas obligatoirement la photo qui en résulte. Car si je vérifie immédiatement la prise sur l’écran de mon appareil pour vérifier que techniquement tout s’est bien déroulé, il peut parfois s’écouler plusieurs jours avant que je ne charge l’image pour la traiter.

3. Miroir, mon beau miroir…

Une fois la photo faite, développée ou traitée on a envie de la montrer. Mais pourquoi la montrer ? Là encore j’ai bien peur qu’il ne s’agisse d’assouvir son propre plaisir. Au minima il s’agira d’en tirer un retour affectif, une reconnaissance de ce que l’on fait, prouver qu’on existe. Au pire cela servira à flatter son ego. Les plus hypocrites diront même qu’ils les montrent pour avoir des avis et progresser. Je n’y crois pas une seconde. Je ne sais pas sur quelle graduation de cette échelle je me trouve mais j’avoue que cela me fait plaisir lorsqu’on commente mes images ou qu’on les trouve belles. Après tout c’est le propre de toutes les activités créatives d’être montrées : imagineriez-vous ne prendre des photos que pour vous-même ? Ce serait une attitude noble mais tout aussi égoïste.

Je vais donc continuer à faire comme tout le monde : je m’occupe de mes fantasmes et de mon doigt déclencheur. Pour les applaudissements je compte quand même sur vous.