Pourquoi est-on si fatigués ?
J'ai découvert le podcast Emotions grâce au classement Apple de 2025 des podcasts les plus écoutés en France. Ce podcast est animé par Marie Misset, avec un nouvel épisode toutes les deux semaines. Comme son nom l'indique, il traite de nos émotions au travers d'histoires vraies ou d'interventions d'experts. J'ai donc parcouru les différents épisodes et je suis tombé sur cet épisode au titre accrocheur : pourquoi est-on si fatigué ?
Le constat est partagé, tout le monde est fatigué. Un sondage a révélé que 66 % des Français se disent fatigués, un chiffre qui atteint même 78 % chez les moins de 35 ans, âge pourtant censé être celui de la plus grande énergie.
Dans cet épisode, Marie Bisset reçoit le philosophe Tristan Garcia. Il décrit les mécanismes qui ont transformé la société en société épuisée. C'était le thème d'un de ses livres sorti en 2016 : la vie intense, une obsession moderne. Le phénomène n'est pas nouveau, mais il s'accélère. Selon lui, l'origine est la transformation de notre mode de vie dédié au travail vers une société qui a fait de plus en plus de place aux loisirs. Si cette transformation était la bienvenue, elle a eu également son revers. L'économie de biens s'est mutée en économie d'expériences. Il est essentiel que chaque moment soit rempli, et rempli intensément. Il faut vivre sa vie à fond et la remplir d'expériences.
La productivité n'est plus un concept industriel, elle a débordé du milieu professionnel pour s'appliquer désormais à la sphère privée. Un moment qui n'est pas vécu est un moment perdu, un moment improductif. Le concept du Miracle Morning en est une manifestation : la vie appartient à ceux qui se lèvent tôt. J'avais fait la critique de ce livre il y a quelques années, je l'ai relue cette semaine et je ne retirerais rien de ce que j'ai écrit en 2016. Surtout pas la note finale.
Mais pourquoi cette recherche d'intensité permanente nous amène-t-elle vers l'épuisement ? C'est simple, c'est notre addiction à l'intense. Comme toute addiction, une des caractéristiques principales est qu'il est nécessaire d'augmenter les stimuli pour que l'effet persiste. Cette stimulation continue d'intensité toujours croissante finit par nous épuiser. Nos journées sont trop remplies. Elles sont surtout trop longues. Notre cerveau trop stimulé. Nous sommes épuisés par notre recherche de sensations.
Le paradoxe de cette recherche d'expérience est que le manque de sommeil est lui-même devenu une source de quête d'expérience. On dort mal, on le sait, mais on fait de notre sommeil une expérience en soi. On va chercher à l'étudier, le mesurer, lui adjoindre ses gadgets. C'est une mise en abime du désir d'expérience qui nous prive de sommeil, mais qui le transforme lui-même en expérience.
Dans la seconde partie du podcast, Tristan Garcia aborde les conséquences sociales et politiques de cet épuisement. C'est la partie qui m'a le plus intéressé, car il donne une lecture que je n'avais encore jamais entendue concernant la dérive des démocraties vers des régimes de plus en plus autoritaires. Selon lui, l'épuisement généralisé est la cause du manque de réaction face à la montée des extrêmes. On a du mal à résister. Il va plus loin en expliquant que le désir d'autorité est en fait comme un désir de nouvelle expérience forte. Il faut que ça bouge, que ça bouscule. C'est aussi le désir de certains d'avoir quelqu'un qui choisit à leur place, parce qu'ils sont perdus devant l'infini des possibilités.
Il finit par donner quelques pistes pour échapper à l'épuisement. Il faut ralentir. Certains l'ont déjà compris et lui ont donné un terme, le JOMO (Joy Of Missing Out), le bonheur simple d'avoir pu échapper à une expérience (une sortie, un resto, la dernière expo à la mode) pour simplement se retrouver au calme. Cela commence par une forme de résistance à l'idée qu'il faudrait absolument sortir pour s'épanouir. Valorisons le "ne rien faire" !
Je vous laisse écouter l'épisode pour approfondir le sujet, il y a des sources complémentaires dans les notes de l'épisode. Cela m'a aussi donné envie de lire les écrits de Tristan Garcia.
